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La mode ¨¦thique : figure de style ou lame de fond?

Port¨¦e par la sensibilisation d¡¯un nombre croissant de consommateurs, l¡¯industrie de la mode tente, avec plus ou moins de sinc¨¦rit¨¦, de se montrer plus vertueuse et plus durable. Mais malgr¨¦ les initiatives visant ¨¤ am¨¦liorer le recyclage, promouvoir les ¨¦changes ou d¨¦velopper la location, les progr¨¨s de ce secteur tr¨¨s polluant restent modestes.
From the series Collection, by photographer Katie Aird, who worked with designer Mabel Tallulah to create a collection made from recycled denim and velvet. Made by printing over receipts, the images by the two British artists draw attention to the waste and pollution generated by clothes that are only worn once.

Toutes les boutiques de v¨ºtements proposent aujourd¡¯hui des articles arborant les mentions ? bio ?, ? v¨¦gan ? ou ? recycl¨¦ ?. Mais derri¨¨re la volont¨¦ affich¨¦e de rendre la mode plus ¨¦coresponsable, les actions restent d¡¯une port¨¦e limit¨¦e.

Les chiffres parlent d¡¯eux-m¨ºmes. Selon un publi¨¦ en ao?t 2020 par Global Fashion Agenda, une organisation du secteur sp¨¦cialis¨¦e dans le d¨¦veloppement durable, et par le cabinet de conseil McKinsey, si le secteur poursuit ses efforts de d¨¦carbonation, les ¨¦missions seront plafonn¨¦es ¨¤ 2,1 milliards de tonnes par an d¡¯ici 2030, soit un niveau identique ¨¤ celui de 2018, ce qui repr¨¦senterait 4 % des ¨¦missions totales dans le monde.

Certains pays commencent ¨¤ prendre des initiatives pour r¨¦duire l¡¯impact environnemental de cette industrie, avec un succ¨¨s relatif. Ainsi, au Royaume-Uni, le plus grand consommateur de mode en Europe, un plan d¡¯action pour des v¨ºtements durables (Sustainable Clothing Action Plan) a ¨¦t¨¦ lanc¨¦ en 2012. Il a rassembl¨¦ 90 marques britanniques qui repr¨¦sentent pr¨¨s de 50 % des ventes de v¨ºtements dans le pays. Ces marques s¡¯¨¦taient fix¨¦ pour objectif de r¨¦duire de 3,5 % leur empreinte en mati¨¨re de d¨¦chets et de 15 % la part de v¨ºtements dans les d¨¦chets m¨¦nagers d¡¯ici 2020. Or, selon un , elles n¡¯ont r¨¦duit l¡¯empreinte en mati¨¨re de d¨¦chets que de 2,1 % et la part des v¨ºtements dans les d¨¦chets m¨¦nagers de seulement 4 %.

 

69 % de personnes prennent en compte l¡¯impact environnemental dans l¡¯achat d¡¯un article de mode

Pourtant, les consommateurs sont de plus en plus sensibles ¨¤ l¡¯argument ¨¦thique, surtout depuis la survenue de la pand¨¦mie li¨¦e au Covid-19. Le temps pass¨¦ ¨¤ r¨¦fl¨¦chir ¨¤ la nature interconnect¨¦e du monde, ¨¤ nos valeurs et ¨¤ la mani¨¨re dont nous pouvons construire un avenir meilleur, n¡¯a fait que renforcer cette tendance. D¡¯apr¨¨s une enqu¨ºte mondiale men¨¦e aupr¨¨s des lecteurs du magazine Vogue, le nombre de personnes d¨¦clarant prendre en compte l¡¯impact environnemental dans l¡¯achat d¡¯un article de mode est pass¨¦ de 65 % en octobre 2020 ¨¤ 69 % en mai 2021.

Si les marques de mode prennent des mesures pour assainir leur activit¨¦ et qu¡¯une majorit¨¦ des acheteurs sont pr¨ºts ¨¤ les soutenir, on peut se demander pourquoi la mode ne parvient pas ¨¤ se d¨¦faire de sa r¨¦putation d'industrie parmi les plus polluantes au monde. La r¨¦ponse est que la fa?on dont nous fabriquons, consommons et mettons au rebut les articles de mode est fondamentalement aberrante.

D¨¦sir d¡¯appartenance et estime de soi

Se v¨ºtir r¨¦pond ¨¤ un besoin humain essentiel : il n¡¯est donc pas ¨¦tonnant que la consommation ait augment¨¦ au m¨ºme rythme que la croissance d¨¦mographique. Mais cette n¨¦cessit¨¦ ne r¨¦sume pas notre rapport au v¨ºtement, loin de l¨¤. Notre d¨¦sir d¡¯appartenance se manifeste en effet par un habillement similaire ¨¤ celui de nos pairs ; notre estime de soi et notre confiance sont intrins¨¨quement li¨¦es ¨¤ des v¨ºtements qui nous font nous sentir bien. Nous pouvons m¨ºme tenter d¡¯obtenir le respect des autres gr?ce aux marques que nous portons. Le fait de s¡¯habiller peut ¨¦galement ¨ºtre une forme d¡¯expression personnelle et de cr¨¦ativit¨¦. Or, ce sont ces besoins que l¡¯industrie de la mode a manipul¨¦s pour vendre toujours plus et faire exploser la production au cours des derni¨¨res d¨¦cennies.

Les changements du paysage g¨¦opolitique et de la technologie ont ¨¦galement soutenu cette croissance. Dans les ann¨¦es 1980 et 1990, les marques de mode occidentales ont progressivement commenc¨¦ ¨¤ d¨¦localiser leur production vers l¡¯Asie, o¨´ le co?t de la main-d¡¯?uvre ¨¦tait moins ¨¦lev¨¦. Avec des v¨ºtements meilleur march¨¦, les consommateurs ont achet¨¦ davantage et se sont mis ¨¤ tol¨¦rer une qualit¨¦ moindre, car il est devenu plus facile de remplacer des articles ¨¤ faible co?t. Dans les ann¨¦es 2000, Internet a permis aux amateurs de mode de faire leurs achats 24 heures sur 24 aupr¨¨s d¡¯un plus grand choix de magasins. L¡¯essor des r¨¦seaux sociaux a enfin donn¨¦ aux marques la possibilit¨¦ de promouvoir leurs produits 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7.

R¨¦sultat : la production de v¨ºtements a doubl¨¦ entre 2000 et 2014 selon McKinsey, et le nombre de v¨ºtements achet¨¦s par personne a augment¨¦ d¡¯environ 60 %. Il faut dire que le rythme de renouvellement des collections s¡¯est acc¨¦l¨¦r¨¦. Les grandes marques, qui avaient l¡¯habitude de sortir deux collections par an, proposent d¨¦sormais chaque semaine de nouveaux mod¨¨les. Et, tr¨¨s vite, les sites de vente en ligne peuvent proposer chaque jour aux consommateurs de la g¨¦n¨¦ration Z des milliers de nouveaux produits.

Cette hausse vertigineuse de la production a entra?n¨¦ une pression ¨¦norme sur les ressources naturelles telles que le coton, notamment les terres et l¡¯eau n¨¦cessaires ¨¤ sa culture, ainsi que sur les ¨¦nergies fossiles pour produire le polyester. Dans le m¨ºme temps, la production de d¨¦chets a augment¨¦ tant dans la cha?ne d¡¯approvisionnement qu¡¯en fin de vie des articles, et les ¨¦missions de carbone ont grimp¨¦ en fl¨¨che.

D¨¦sir d¡¯appartenance et estime de soi

La fa?on dont nous fabriquons, consommons et mettons au rebut les articles de mode est fondamentalement aberrante

An activist disguised as a Trash Queen promotes ¡°Buy Nothing Day¡± on Black Friday in Hamburg, Germany, 2016, as part of a Greenpeace campaign to reduce overconsumption.

Jeans ¨¤ louer

Il existe pourtant une autre voie, plus vertueuse, pour repenser la fa?on dont nous produisons et consommons les produits de l¡¯industrie textile.

Ainsi, le recyclage des v¨ºtements est facile ¨¤ mettre en place, ¨¤ condition d¡¯am¨¦liorer l¡¯infrastructure permettant de collecter les v¨ºtements usag¨¦s et de les transformer en nouveaux v¨ºtements. Les marques qui ont recours ¨¤ des mat¨¦riaux recycl¨¦s disposent g¨¦n¨¦ralement de leur propre syst¨¨me de reprise de v¨ºtements et d¡¯accessoires. L¡¯un des plus innovants est celui mis en place par MUD Jeans, une soci¨¦t¨¦ bas¨¦e aux Pays-Bas. Leur mod¨¨le de location permet aux clients de payer un jean par mensualit¨¦s de 9,95 euros sur 12 mois, rendant ainsi la mode de haute qualit¨¦, fabriqu¨¦e de mani¨¨re durable, plus accessible. Au terme des 12 mois, les clients peuvent garder leur jean, le renvoyer ou en louer un autre, ce qui leur permet d¡¯assouvir le besoin de renouvellement de leur garde-robe. Tous les jeans renvoy¨¦s sont ensuite recycl¨¦s en nouveaux jeans qui seront vendus ou lou¨¦s par la marque.

SPIN, une plateforme communautaire cr¨¦¨¦e par la soci¨¦t¨¦ italienne Lablaco, offre aux particuliers des solutions pour prolonger la dur¨¦e de vie de leurs v¨ºtements. Ils peuvent ainsi les ¨¦changer, les louer ou les revendre ¨¤ des marques, ce qui leur permet d¡¯acc¨¦der ¨¤ la garde-robe de personnes du monde entier.

Mode post-pand¨¦mie

La vente de v¨ºtements d¡¯occasion conna?t par ailleurs un v¨¦ritable essor. M¨ºme les marques qui ne vendent traditionnellement que des articles neufs l¡¯adoptent pour se donner une image de soci¨¦t¨¦s vertueuses tout en r¨¦alisant des b¨¦n¨¦fices. Reflaunt, soci¨¦t¨¦ bas¨¦e ¨¤ Singapour, a cr¨¦¨¦ un logiciel que n¡¯importe quelle marque peut associer ¨¤ son site web : il permet aux clients d¡¯¨¦changer les articles inutilis¨¦s de la griffe. Une fois vendus, les clients re?oivent un cr¨¦dit utilisable en magasin. Parmi les clients de Reflaunt figurent la maison fran?aise de pr¨ºt-¨¤-porter de luxe Balenciaga ou la marque su¨¦doise haut de gamme Cos.

La plupart de ces id¨¦es ne sont pas nouvelles. La location de v¨ºtements de c¨¦r¨¦monie pour hommes existe depuis longtemps et les friperies contentent ceux qui recherchent des articles de seconde main. Mais la technologie permet une diffusion plus large et plus ais¨¦e de ces activit¨¦s. L¡¯implication de personnes ayant une exp¨¦rience de la mode les rend attrayantes pour un public soucieux de son style.

La p¨¦riode post-pand¨¦mie ne doit pas affecter seulement notre fa?on de nous v¨ºtir : elle passe par une remise en cause profonde de notre relation avec la mode. Le succ¨¨s commercial ne doit pas d¨¦pendre de la production d¡¯un nombre croissant de produits, et les v¨ºtements usag¨¦s doivent devenir une ressource au lieu d¡¯¨ºtre de simples d¨¦chets. Ce mouvement passe aussi par une attitude plus responsable et plus sobre des consommateurs. C¡¯est ¨¤ ce prix que pourra s¡¯op¨¦rer un virage vers une mode plus vertueuse et plus durable.

Olivia Pinnock

Journaliste de mode bas¨¦e ¨¤ Londres

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