é
Mauro Colagreco : « J’aime me décrire comme un jardinier avec une veste de cuisinier. »

De la nature à la table : repenser la relation entre notre alimentation et la terre
Je suis Mauro Colagreco, Chef Cuisinier du Restaurant Mirazur à Menton dans le sud de la France. J’aime me décrire comme un jardinier avec une veste de cuisinier. En effet, quand je suis arrivé au Mirazur, il y avait juste le jardin devant le restaurant. J’avais mes herbes aromatiques, des fleurs, des citronniers. Aujourd’hui, ce sont 5 jardins que nous cultivons en permaculture et suivant le calendrier biodynamique. C’est cette évolution du projet agricole qui a changé notre façon d’expérimenter et de repenser la relation entre le restaurant et les jardins : avant on disait qu’on avait un restaurant avec un jardin, actuellement c’est l’inverse, c’est un grand potager réparti en plusieurs jardins avec un restaurant. C’est la cuisine qui m’a permis de reconnecter avec le travail de la terre, et c’est ce travail avec la nature qui rythme et inspire ma cuisine. La ligne est devenue une boucle. Aujourd’hui, c’est impossible pour moi d’imaginer l'un sans l’autre. Avec ce travail nous nous sommes engagés pour la régénération des sols, et la préservation de la biodiversité. Il s’agit de méthodes de culture et de consommation durables.
Nous sommes convaincus que nous pouvons tous avoir un réel impact sur nos écosystèmes à travers nos pratiques de consommation et nos choix au moment de nous nourrir. Mon travail – notre travail – ce n'est pas une fin en soi, c’est un moyen de contribuer au changement dont nous avons besoin pour avancer ensemble vers un modèle plus respectueux de la planète.
Par quels chemins êtes-vous arrivé à la frontière franco-italienne pour créer votre restaurant trois étoiles, vous qui êtes argentin ?
J’ai commencé mes études de cuisine en Argentine, et je suis arrivé en France en 2001 pour poursuivre mon parcours et ma formation avec l’idée de retourner un jour dans mon pays. Historiquement la France est le pays de la gastronomie, et c’est une escale presque obligée dans le parcours d’un cuisinier.
Quand je suis arrivé, j’étais émerveillé par cette culture, la diversité des produits, leur qualité. Avec le temps, j’ai réalisé que c’est cette valorisation des traditions culinaires qui favorise aussi un rapport respectueux et réfléchi des chefs aux produits. En 2006, quand je voulais ouvrir mon propre restaurant, je n’avais pas pensé à Menton. C’est à travers des amis que j’ai entendu parler d’un établissement, juste à la frontière entre la France et l’Italie, et qui était fermé depuis quelques années… et ça m’a semblé être une belle opportunité. Je suis tombé immédiatement amoureux de ce lieu suspendu entre la montagne et la mer au milieu d’une végétation exubérante – ce lieu qui est ensuite devenu le Mirazur.
Qu'est-ce qui vous a poussé à développer une approche plus durable, et comment cela se traduit-il dans votre cuisine ?
J’ai toujours été sensible au respect des produits, et au cycle des saisons. Dans ma famille, la notion de partage est essentielle, et nous avions l’habitude de cuisiner et de nous réunir autour des repas préparés par mes parents et mes grands-parents. Au-delà des produits, la nature a toujours été pour moi un moyen de me ressourcer, de m’inspirer et d’inspirer ma cuisine. C’est donc naturellement que j’ai commencé à travailler en respectant et en célébrant la nature autour de moi. Je suis allé à la rencontre de producteurs locaux, je voulais partager un paysage à travers mes plats. Plus j’ai les mains dans la terre et plus j’ai envie d’aller plus loin : dans les connaissances, dans les méthodes de culture, les produits... c’est un chemin qui n’a pas de fin, c’est une façon de vivre et de concevoir mon travail.
J’ai beaucoup de chance d’avoir un restaurant dans un lieu avec une beauté naturelle aussi impressionnante, et j’éprouve une immense gratitude. La volonté de vouloir intégrer ce paysage dans l’expérience à table m’est apparu comme une évidence dès le premier moment. Le travail en cuisine et dans les jardins, avec les producteurs et les produits locaux n’est que l’expression de cette volonté et son évolution à travers toutes ces années. Notre approche est centrée sur le respect de nos écosystèmes et la mise en oeuvre de pratiques qui nous aident à reconnecter avec la nature et à transmettre un message de beauté et d’espoir pour l’avenir.
Le travail dans nos jardins en permaculture, nous permet d’améliorer les sols et régénérer la vie. Il s’agit de pratiques inspirées de l’observation de la nature et d’une vision holistique où tous les composantes du système sont importantes et interconnectées. Il s’agit aussi de concevoir la terre comme un organisme vivant et de trouver notre place au sein de la nature.
La campagne pour mettre fin à l’utilisation de plastiques à usage unique dans notre restaurant est venue de ce besoin de préserver la santé et la biodiversité dans nos mers, et d’attirer l’attention sur un sujet qui est universel, puisque le plastique est présent partout.
Dès le début, nous avons choisi de travailler avec les pêcheurs et les producteurs locaux qui avaient des pratiques respectueuses avec la terre. Pour nous c’est la façon de valoriser leur travail tout en
ayant accès à des produits excellents et uniques. Ce que nous voulons transmettre à travers notre expérience c’est que l’origine des produits a un impact direct sur la qualité de nos créations. De la terre à l’assiette, le lien est direct.
Cette approche est-elle propre au Mirazur ?
C‘est une philosophie que nous essayons de répliquer dans tous nos projets et nos établissements. Ce n’est pas quelque chose réservé au Mirazur ou à des établissements de haute gastronomie. Chaque restaurant ouvert à l’étranger se base sur les produits et producteurs locaux, nous essayons de nous intégrer au mieux dans les différents endroits où nous sommes.
Aujourd’hui nous avons plusieurs restaurants en France, à Singapour, en Thaïlande, à Dubaï, aux Etats-Unis, et des ouvertures prévues à Londres et au Japon.
Qu'espérez-vous accomplir en tant qu'Ambassadeur de bonne volonté de l'UNESCO pour la biodiversité ?
C’est un honneur énorme et une opportunité merveilleuse d’avoir cette reconnaissance et cet appui de la part de l’Unesco. Le fait que cette nomination ait été décernée pour la première fois à un chef de cuisine, ne fait que confirmer le rôle central que la façon de produire nos aliments et de nous alimenter peut avoir sur notre santé et celle de la planète. Repenser nos pratiques agricoles et nos modes de consommation est au centre des débats récents pour limiter les changements climatiques et permettre la continuité de la vie sur la terre.
J’espère que cette notoriété nous permette de transmettre un message fort et que les gouvernements et politiciens trouveront les moyens d’accompagner cette prise de conscience et ce besoin de changement qui s’impose.
Nous avons la possibilité de semer l’espoir dans l’avenir. C’est important pour nous, pour nos enfants. Pour cela, il faut sortir du récit de la catastrophe avec les yeux grands ouverts, aller à la rencontre des initiatives inspirantes et incarner nos convictions les plus profondes dans notre quotidien. Nous pouvons faire partie de la solution.