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« Remettre en question le passé peut aider les élèves à prendre des décisions éclairées aujourd’hui et demain »

Entretien avec Alejandra Romero González sur la contribution de l’enseignement de l’Holocauste et des génocides à l’éducation à la paix et aux droits de l’homme en Colombie
Alejandra Romero González travaille au département d’éducation du à Bogota, en Colombie. En décembre 2017, elle a participé à la deuxième (ICEH) à Washington D.C., avec Alejandra Cáceres Sánchez du Ministère national de l’éducation, et Adriana Valderrama López du à Medellin. La Conférence, organisée par l’UNESCO et le (USHMM), a conduit l’équipe à élaborer un projet visant à explorer les moyens par lesquels l’éducation peut aider les élèves à faire face aux conséquences du conflit armé colombien et renforcer leur résilience à la violence, et promouvoir l’éducation à la paix et aux droits de l’homme en Colombie.
Comment l’enseignement de l’Holocauste et des génocides peut-il aider les élèves à faire face aux conséquences du conflit armé colombien ?
L’enseignement de l’Holocauste et des autres crimes Nazis peut servir de point de départ pour discuter du conflit en Colombie. Par exemple, il peut aider à expliquer aux élèves les processus qui mènent des stéréotypes à la violence de masse. Ces processus peuvent avoir lieu n’importe où, n’importe quand. Pas seulement en Allemagne en 1939 ou en Colombie aujourd’hui.
En Colombie, beaucoup de personnes ne veulent pas parler de la guerre, car cela est dangereux ou trop douloureux. C’est un sujet très sensible qui est souvent lié à des expériences et des traumatismes personnels. Évoquer les crimes commis par le régime Nazi peut aider à parler de la guerre et de la violence d’une manière qui permette de garder une certaine distance, tout en abordant quand même sur les problèmes centraux de la persécution ciblée et de la violence de masse.
Cela étant, à certains endroits, comme au Centre national de la mémoire historique, nous faisons attention à appliquer l’enseignement de l’Holocauste dans le contexte de l’éducation à la paix. Il est important que cet enseignement ne serve pas à parler de la violence de masse ailleurs au lieu de se pencher sur notre passé violent. Les éducateurs doivent s’assurer que les élèves établissent des liens clairs entre les deux événements. De cette manière, l’éducation peut permettre de comprendre les conséquences des atrocités et leur impact plus large sur les sociétés. En outre, elle peut aider à renforcer la résilience des élèves face à la violence et aux moteurs de notre conflit.
Le conflit armé en Colombie est très complexe, et oppose les forces de la guérilla, des groupes paramilitaires et les forces gouvernementales. Le point de vue des élèves sur le conflit et leurs expériences personnelles peuvent varier énormément, selon leur contexte familial, les pratiques culturelles dans lesquelles ils ont été élevés et l’endroit où ils vivent. C’est pourquoi les enseignements sur le conflit doivent être soigneusement adaptés et hautement sensibles aux contextes. Il n’y a pas de programme obligatoire couvrant le conflit, mais nous sommes convaincus que chaque enfant devrait avoir la possibilité de comprendre les complexités de la guerre, pourquoi elle a lieu, et quelles sont les différentes positions des acteurs impliqués. Surtout, ils doivent comprendre que la solution aux tensions existantes n’est pas de rejoindre un groupe armé.
Avec ces connaissances, nous espérons encourager les élèves à agir pour contribuer à remédier aux conséquences du conflit et construire la paix dans leurs propres communautés.
Quel rôle le système éducatif colombien joue-t-il dans ce contexte ?
La Colombie a un système éducatif autonome. Cela signifie que chaque école décide individuellement des contenus de son programme et des modèles pédagogiques. Par ailleurs, jusqu’en décembre 2017, le cours d’histoire était remplacé par un cours plus général de sciences sociales, comprenant des éléments de géographie, politique et histoire. Il était alors extrêmement difficile de s’assurer que les élèves colombiens reçoivent la même éducation historique et politique.
Le 27 décembre 2017, la loi sur l’histoire a été adoptée, qui a réintroduit l’histoire en tant que discipline faisant partie intégrante du programme de sciences sociales.
Il est important de continuer à encourager les enseignants à aborder des thèmes importants tels que les atrocités de masse commises par le régime Nazi et l’histoire du conflit colombien dans leurs classes. Le Ministère national de l’éducation a mis au point de nombreuses directives, mais les enseignants ne sont pas obligés de les mettre en pratique. Nous essayons ainsi de stimuler leur intérêt à mettre davantage l’accent sur l’enseignement de l’histoire et de la mémoire. Nous voulons faire en sorte que les gens comprennent que le fait de parler du passé et de le remettre en question peut aider les élèves à prendre des décisions éclairées aujourd’hui et demain.
Comment votre projet contribue-t-il à cet objectif ?
Notre projet vise à démêler la dynamique et la logique de la guerre en Colombie ainsi que les liens entre l’enseignement de l’Holocauste et des génocides et l’enseignement des conflits. En collaboration avec le Musée Casa de la Memoria et le Ministère national de l’éducation, nous avons mené deux études de cas relatives à la contribution de l’éducation aux processus de construction de la paix. La première étude de cas porte sur le camp de personnes déplacées qui avait été établi dans l’ancien camp de concentration de Bergen-Belsen en Allemagne après sa libération. L’autre étude de cas porte sur l’éducation en Colombie de nos jours. Ces recherches nous ont aidés à comparer les deux cas et nous ont permis d’établir des liens importants entre les expériences historiques dans les camps de personnes déplacées et la Colombie aujourd’hui.
Un lien majeur est la question de l’identité. Les déplacements et la persécution peuvent profondément remettre en question le sentiment d’identité des individus touchés. La reconstruction de l’identité a joué un rôle important dans le processus de réconciliation après la Seconde Guerre mondiale ; de la même manière, elle fait partie intégrante de notre processus de construction de la paix ici, en Colombie. Un autre lien est la signification des lieux. De nombreux camps de personnes déplacées ont été établis dans d’anciens camps de concentration. Les anciens prisonniers du camp, qui étaient restés dans le camp pour personnes déplacées, avaient dû donner à l’endroit une toute nouvelle signification. Nous pouvons observer des changements similaires en Colombie.
Les conclusions du document ont été présentées à des enseignants lors de deux ateliers qui se sont tenus en août à Medellin et à Bogota. Les enseignants participants ont été choisis sur la base de leurs précédentes collaborations avec les trois institutions chargées de mettre en œuvre ce projet. Durant les ateliers, les enseignants ont examiné le document, partagé leurs expériences respectives en matière d’éducation à la paix ainsi que leurs méthodes préférées et réfléchi à des stratégies que les enseignants peuvent suivre en classe pour aborder les violences du passé d’une manière qui contribue à construire la paix. Dans le cadre des ateliers, les enseignants ont mis au point de nouvelles méthodes qui ont été testées et évaluées à la fin de chaque atelier.
Suite aux deux ateliers, nous allons maintenant préparer notre propre document pour intégrer les observations et contributions que nous avons reçues à l’issue de ces derniers. Nous prévoyons ensuite de présenter le document lors d’une conférence qui se tiendra en novembre à Medellin. Lors de cet événement, nous espérons sensibiliser un plus large public d’enseignants et d’élèves intéressés afin de les informer au sujet de l’enseignement de l’Holocauste et des génocides en Colombie et dans l’ensemble de la région.
En quoi le soutien de l’UNESCO et de l’USHMM a-t-il été bénéfique pour ce projet ?
Il était très important pour nous de participer à la Conférence internationale sur l’éducation et l’Holocauste (ICEH). Nous avons reçu un grand nombre d’informations intéressantes de la part de l’UNESCO et de l’USHMM que nous pouvons désormais utiliser dans nos programmes d’éducation et notre projet. Lorsque nous sommes venus pour la première fois à la conférence, nous ne savions pas vraiment comment l’enseignement de l’Holocauste pourrait servir nos objectifs collectifs. Le Ministère national de l’éducation et le Musée Casa de la Memoria avaient déjà travaillé sur l’enseignement de l’Holocauste mais nous n’avions jamais essayé de l’appliquer directement au processus de construction de la paix en Colombie. Nous ne savions pas vraiment comment adapter l’enseignement et l’apprentissage de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale au contexte du conflit armé en Colombie. Durant la conférence, nous avons découvert comment nous pouvions établir ces liens.
L’UNESCO et l’USHMM nous ont tous deux énormément aidés durant le processus d’élaboration de notre projet et nous ont fourni de très précieux commentaires. Nous espérons continuer de collaborer étroitement avec eux dans la préparation de notre conférence en novembre !