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Audrey Azoulay et Lula: «Nous appelons les Etats à réfléchir à un cadre multilatéral pour convertir les dettes des plus pauvres en investissements dans l’éducation»

Tribune par Audrey Azoulay, Directrice générale de l’UNESCO et Luiz Inacio Lula da Silva, Président du Brésil. Article publié le 14 novembre 2024 dans Le Monde.
L’éducation est l’un des leviers les plus puissants pour résorber la pauvreté à travers le monde et parvenir à plus d’équité et d’inclusion. Cette conviction a été placée au cœur de l’ordre du jour du G20 (qui se tiendra les 18 et 19 novembre, à Rio de Janeiro, au Brésil), à l’initiative de la présidence brésilienne et de l’Unesco, qui en est le partenaire privilégié.
Mais l’éducation est aujourd’hui elle-même minée par les inégalités. Le nouveau , présenté fin octobre à Fortaleza (Brésil), souligne que 251 millions d’enfants et de jeunes dans le monde sont encore privés d’école. Ils représentent 33 % des enfants des pays à revenu faible, contre 3 % des enfants des pays à revenu élevé [selon les catégories de la Banque mondiale]. Plus de la moitié de ces jeunes non scolarisés se trouvent dans la seule région de l’Afrique subsaharienne.
Lorsqu’ils sont scolarisés, les élèves sont encore très loin de recevoir la même qualité d’enseignement et donc d’avoir les mêmes chances de réussite, tant les écarts sont importants dans le financement de l’éducation. Selon les nouvelles données publiées par l’Unesco et la Banque mondiale, les pays à revenu faible n’ont dépensé en 2022 en moyenne que 55 dollars par apprenant et par an, contre 8 543 dollars pour les pays à revenu élevé.
Bourses, nouveaux établissements, stratégies éducatives…
Ce sous-investissement d’une partie des pays dans l’éducation n’est pas un choix. Il est la conséquence de finances publiques exsangues par le manque de ressources financières. 60 % des pays à revenu faible sont surendettés ou en situation de risque élevé de surendettement, selon le Fonds monétaire international.
En 2022, sur le continent africain, les coûts du service de la dette ont atteint un montant comparable à celui des budgets publics de l’éducation. La même année, [émanant des pays développés vers les pays en voie de développement] consacrée à l’éducation chutait à 7,6 %, contre 9,3 % en 2019.
Il est possible de rompre avec cette triple crise – de la pauvreté, de l’éducation et de la dette – par la solidarité internationale et des mécanismes de financement innovants, parmi lesquels la conversion de dette en investissements pour l’éducation.
Plusieurs initiatives bilatérales ont ouvert la voie ces dernières années. Entre 2002 et 2011, l’Indonésie et l’Allemagne ont conduit un programme pilote qui a permis l’annulation progressive de plus de 77 millions d’euros de dette en échange de la construction de nouveaux établissements scolaires et du financement de bourses pour les doctorants et les chercheurs. En 2006, le Cameroun et la France ont conclu un accord pour réorienter plus de 1 milliard d’euros de dette vers le financement d’une stratégie éducative sur dix ans.
Entre 2006 et 2017, le Pérou et l’Espagne ont eux aussi expérimenté un tel dispositif, en réinvestissant 27 millions de dette dans le développement de l’éducation dans les régions péruviennes les plus affectées par la pauvreté. Le Brésil conduit une initiative similaire au niveau national: une partie des intérêts des dettes des Etats envers l’Etat fédéral est convertie en investissements dans l’éducation.
Nous bénéficions aujourd’hui de suffisamment de retours d’expérience dans ce domaine pour imaginer pouvoir changer d’échelle : passer des initiatives bilatérales à une initiative globale. Dans la continuité des travaux menés depuis plusieurs années déjà par le G20 sur ces sujets, qui ont abouti en 2020 à la définition du , nous appelons aujourd’hui les Etats à réfléchir à un cadre multilatéral pleinement consacré à la conversion de dettes en financements durables pour l’éducation.
Vers une gouvernance mondiale ambitieuse
Ce cadre permettrait aux Etats les plus exposés au surendettement de négocier, de façon équitable et transparente, l’abandon de certaines créances contre l’engagement d’investir les mêmes sommes dans l’éducation.
Il s’appuierait sur l’ensemble des parties prenantes qui font référence dans ce domaine : des forums comme le G20, des organisations du système des Nations unies comme l’Unesco, ou encore des plateformes de financement comme le .
Cette nécessité de repenser le financement de l’éducation s’inscrit dans le cadre d’un appel plus large à réinventer l’architecture internationale de financement du développement, comme le promeut le Brésil dans le contexte de sa présidence du G20.
Le moment est venu de donner à la gouvernance mondiale l’ambition et les moyens de répondre de manière appropriée à l’ampleur des défis auxquels nous sommes confrontés.