Un wadi est un lit de rivière des régions endoréiques semi désertiques. Souvent à sec, il peut se remplir soudainement lors des périodes de crues ou de fortes pluies. Artomossi, près de Bol dans la province du lac au Tchad, abrite un wadi de 156 hectares qui fait vivre de nombreuses personnes dans le village et celles de terroirs voisins par l'exploitation de la spiruline par les femmes. La spiruline est une algue reconnue pour ses vertus nutritives, cosmétiques mais également économiques pour ses exploitantes qui en dépendent.
La production de cette algue est aujourd'hui menacée par la dégradation accélérée des écosystèmes du Lac. Le changement climatique, la sécheresse et la désertification entrainent l'ensablement des wadis et la disparition du couvert végétal, les exposant au vent. Or, lorsque le vent souffle, la spiruline disparait de la surface de l'eau et la récolte doit être interrompue.
L'UNESCO et les populations locales ont choisi ce site pour restaurer un écosystème dégradé dans la région du lac Tchad. Cette activité est mise en œuvre avec les communautés, premières concernées, et ses partenaires internationaux (Eden Project) et locaux (Agence nationale de la grande muraille verte, Université de N'Djamena, Centre national de contrôle de la qualité des denrées alimentaires).
Consultations et concertations
Une consultation de près de 200 personnes, dont 20 chefs coutumiers, les chefs des villages exploitant le wadi ou encore les propriétaires terriens a été entreprise en premier lieu pour prendre mieux connaissance de la zone, de ses réalités locales, sociales et économiques, de ses us, son droit coutumier, son foncier et sa gouvernance en matière de ressources naturelles. Ces personnes ont été sensibilisées et mobilisées contre la dégradation et l'ensablement des terres et ses conséquences sociales, économiques et écologiques. 80% d'entre elles étaient des femmes, premières touchées par ces conséquences.
Avec l'accord des autorités pour la mise en œuvre d'une opération de restauration du wadi, une cartographie permettant d'identifier, de localiser et de délimiter le site a été établie. La zone choisie, de 4ha, est sujette au pâturage itinérant d'animaux. Afin de préserver la zone de reboisement tout en tenant compte des réalités locales, il a été accordé que la zone serait semi cloisonnée. 2ha de la zone serait mise en défens de manière hermétique et cloisonnée, tandis que la seconde moitié serait une zone de régénération naturelle assistée, sans clôture, où les animaux pourront divaguer. Un comité de suivi représentant les cinq groupements de femmes récolteuses de la spiruline a été créé et un protocole d'accord a été mis en place pour encadrer la gestion communautaire et assurer la visibilité de l'activité.
Cette partie est particulièrement importante pour le bon déroulement de l'activité et sa durabilité afin que les femmes s'approprient pleinement le projet.
La formation des participants a eu lieu en deux étapes. Une première étape théorique sur la maitrise des techniques et technologies de gestion durable des terres et à la lutte contre l'ensablement a été suivie par 35 participants. Pour la seconde partie, 100 participants ont appris les techniques de production, de plantation, d’aménagement des périmètres de plantation (demi-lunes forestières, tranchées forestières, trouaisons, creusage des bassins de collecte des eaux, etc.), ainsi que celles liées à l’entretien et à la protection des plants.
Après ces formations, les communautés ont pris pleinement conscience de l'importance socioéconomique du wadi d'Artomossi et des menaces qui pèsent sur lui. Les parties prenantes de la communauté en sont sortis davantage sensibilisées et mobilisées pour les actions de reboisement, d'aménagement du site et d'entretien des plants contre l'ensablement du wadi.
Acquisition des plants
Le site choisi pour la restauration possède déjà quelques arbres (acacias, myrrhes, balanites) arbres fruitiers et des herbacés avec une potentialité faunique (terrestre, aquatique et aviaire) qui pourrait se reconstituer avec la restauration écologique.
7,500 plantes ont été acquises dans une pépinière locale pour entamer la restauration. Le choix des plantes s'est fait en fonction de leurs valeurs écologiques et économiques. Ecologique dans un premier temps car les essences recherchées devaient à la fois être adaptées aux zones arides et semi-arides, présentes naturellement dans le Sahel, fixer les sols, mais également être à croissance rapide et résistantes aux sécheresses. Economiques dans un second temps car elles doivent pouvoir aussi avoir une fonction autre comme nourriture pour les troupeaux, le bois de chauffe, ou encore la transformation de leurs fruits. Au Niger par exemple, l'UNESCO a formé des femmes à l'extraction d'huile du fruit du balanites pour utilisation directe ou transformation en produits cosmétiques. Avec la plantation et l'entretien de balanites à Artomossi, la même activité peut être envisagée.
Ainsi, quelques 6000 plants d'Acacia raddiana, de Prosopis juliflora et cineraria, ainsi que plus de 1,500 plants de Ziziphus mauritiana, Balanites aegyptiaca et Parkingsonia acculeita ont été sélectionnés chez le pépiniériste partenaire.
Approvisionnement en eau
Dans cette zone aride, la sécheresse est endémique. L'eau est fondamentale pour toute activité de restauration écologique. Il faut donc non seulement envisager un approvisionnement en eau à court terme pour lancer la restauration mais aussi à long terme pour l'entretien du site.
Les activités ont démarré lors de la saison sèche. Afin d'humidifier les plants, l'eau a été amenée du village voisin après arrangements avec eux et transportée dans des bidons à dos de cheval. L'eau du wadi même est trop natronnée et ainsi non compatible avec l'arrosage des plants forestiers.
Des bassins de rétention d'eau ont été construits pour la récupération des eaux de pluies.
5,000 demi-lunes forestières ont été aménagées. Ce sont des petites cuvettes de collecte des eaux de ruissellement réalisées manuellement dans le périmètre de plantation pour l’humidification. 2,875 ont été creusées à l’intérieur de la clôture et le reste dans la zone de Régénération Naturelle Assistée.
6 mini-bassins de collecte des eaux ont été creusés. Ce sont des trous simples de collecte des eaux de pluies de 6m3, creusés à ciel ouvert et enfouis dans le sol dont le fond est recouvert de bâche pour éviter l’infiltration des eaux. Ils sont installés perpendiculairement dans le sens de la pente du site pour recueillir les eaux de ruissellement.
Plantaison
La mise en terre et le semi des plants sélectionnés sont précédés d'un travail important de préparation du site et des sols. Un piquetage a été réalisé permettant de marquer l'emplacement et la densité de plantation, la terre creusée et humidifiée. Un engrais organique (fumures) a été apporté aux sols afin d'assurer le maintien de la bonne structure du sol et de facilité la reprise facile des plants ou une germination accélérée après le semi.
La plantaison elle-même répond encore une fois à la question de remplir plusieurs objectifs en une fois. Par exemple, 1,500 espèces forestières (Ziziphus mauritiana, et de Parkingsonia acculeita) ont été semées pour créer une haie végétale en bordure de clôture ou dans les ravins. Encore, du petit mil a été semé considérant que son système racinaire a la faculté de fixer rapidement le sol et qu'il se développe facilement dans les milieux sablonneux et sur les dunes mobiles. De plus, il fait partie de l'alimentation de base des populations locales et ses rejets (tiges et sons) sont utilisés comme alimentation pour le bétail ou par les oiseaux. 5,000 autres plants ont été plantés sur les 4ha.
L'entretien et la durabilité de l'activité dépendent essentiellement de la participation des communautés. C'est leur suivi qui détermine le soin à apporter aux plants (arrosage, nettoyage, rempotage, taille, lutte contre les parasites et rongeurs, etc.). Quelques 2000 plants ont ainsi été identifiés et remplacés. Aujourd'hui, 70% de la plantation est toujours viable et en bonne santé, ce qui démontre l'importante mobilisation sociale et la maitrise des techniques de restauration et d'entretien. Les retours du comité de gestion a fait émerger le besoin d'un puits d'eau potable dont le forage a été accordé par le PRESIBALT Tchad.
En sus des activités des restauration écologiques, l'UNESCO accompagne aussi les femmes d'Artomossi dans l'obtention de certification pour la production de la spiruline, ce qui permettrait de faciliter la vente et donc d'augmenter les revenus des productrices.
Le travail de sensibilisation par l'UNESCO, ses partenaires et les représentants des communautés reste continue pour atteindre chacun aux enjeux de la restauration écologique et du changement climatique.