De récentes condamnations mettent en lumière le travail du Bureau du Procureur du Mexique dédié aux crimes contre la liberté d'expression

Miroslava Breach et Javier Valdez, deux journalistes d'investigation mexicains renommés, ont été assassinés en 2017. Tous deux réalisaient des reportages sur le trafic de drogue et ses liens avec la politique dans leurs États respectifs. Ils avaient reçu des menaces concernant leur travail avant d'être assassinés par le crime organisé. Leur mort a secoué le pays comme jamais et entraîné des et des . Des se sont mobilisés pour faire pression sur l'enquête afin que ces crimes ne restent pas impunis. a été créé en leur honneur pour reconnaître le travail du journalisme d'investigation au Mexique, promu par le Haut-Commissaire aux droits de l'homme, l'UNESCO et d'autres partenaires.
En 2020, 3 ans après l'assassinat de ces journalistes, les premières condamnations ont été prononcées pour les deux affaires. Dans le cas de Javier Valdez, le chauffeur qui avait transporté les assassins a été condamné à 14 ans et 8 mois d’emprisonnement. Concernant l’affaire Miroslava Breach, l'un des cerveaux du crime a été condamné à 50 ans d’emprisonnement.
Les dernières avancées juridiques ont eu lieu en 2021 avec la condamnation de l'un des auteurs intellectuels de l'exécution de Javier Valdez et celle d'un maire pour avoir aidé les assassins de Miroslava Breach.
Le procès et les condamnations ont mis en évidence l'importance du travail du Bureau du Procureur spécial chargé de l'attention aux crimes commis contre la liberté d'expression (le FEADLE) en collaboration avec les représentants des victimes. Depuis 2006, le Mexique a créé un Bureau du Procureur spécial chargé d'enquêter sur les crimes commis contre les journalistes ayant la capacité juridique d'enquêter sur les crimes contre les journalistes commis localement, en collaboration avec les bureaux des procureurs et les tribunaux des États.
Le travail du FEADLE sur les récentes condamnations en faveur de la justice pour les affaires de Miroslava Breach et de Javier Valdez a été reconnu par diverses organisations de défense de la liberté de la presse.
Dans cet entretien spécial accordé à l'UNESCO, Ricardo Sanchez Pérez Del Pozzo, responsable du FEADLE, explique comment son équipe a obtenu ces avancées et ce que cela signifie pour la protection de la liberté d'expression et la lutte contre l'impunité des crimes contre les journalistes au Mexique.
Le Mexique est l'un des pays les plus meurtriers pour les journalistes et de nombreux crimes restent impunis, mais les récentes condamnations liées au meurtre de Javier Valdez et de Miroslava Breach sont considérées comme un signe encourageant dans la lutte contre l'impunité. Pourquoi ?
Les deux journalistes sont des références très importantes dans le journalisme mexicain car ils ont dévoilé des enquêtes journalistiques ayant permis d'obtenir des informations pertinentes sur les conséquences sociales des groupes de crime organisé dans le nord du pays. L'avancement des enquêtes et les condamnations des responsables constituent sans aucun doute un message très important pour lutter contre l'impunité.
Dans les deux cas, les preuves présentées par le Bureau du Procureur devant les tribunaux ont permis d'identifier l’ensemble de la chaîne de commandement au sein des structures criminelles impliquées dans les meurtres, notamment les auteurs intellectuels.
Signalons que des procédures sont toujours en cours pour obtenir une extradition dans le cas de Javier Valdez et exécuter deux mandats d'arrêt dans le cas de Miroslava Breach.
Les condamnations constituent un message très important pour les auteurs de ces crimes, dans le sens où ces types d'actes criminels ne resteront pas impunis et que nous continuerons à avancer dans des enquêtes efficaces et indépendantes, jusqu'à ce que les auteurs intellectuels et matériels reçoivent une peine appropriée.
L'un des facteurs clés ayant contribué à prononcer les condamnations est le fait que le juge a établi que Valdez et Breach avaient été tués à la suite de leurs enquêtes journalistiques. Pourquoi ce point est-il important ?
Dans les deux cas, le Procureur a présenté une série de preuves visant exclusivement à prouver le lien entre l'agression et le droit à la liberté d'expression des journalistes.
Le Bureau du Procureur a développé une méthode d'analyse de l'information ayant permis l'identification et l'examen exhaustif du travail journalistique de la victime dans le but d'établir, par des mécanismes objectifs, quantifiables et scientifiques, le motif de l'homicide et son lien avec la liberté d'expression.
L'analyste de l'information est présenté comme un témoin expert dans le procès. Par exemple, dans le cas de Javier Valdez, l'analyste a examiné l’ensemble des articles signés par la victime, ceux publiés par l’organe de presse dont il était le fondateur et le principal rédacteur, ainsi que ceux d'autres médias publiant sur les mêmes sujets. Ce travail a permis d'identifier le contexte dans lequel les articles ont été publiés, les intérêts qui ont pu être touchés et l'impact journalistique du travail de la victime. Le juge a pu prouver par un récit concret comment le travail journalistique de la victime était en relation directe avec les agresseurs.
Si vous pouviez citer 3 choses qui aideraient le FEADLE à combattre l'impunité des crimes contre les journalistes au Mexique, quelles seraient-elles ?
Le FEADLE est une institution fédérale dans un pays politiquement composé de 32 États libres et souverains, compétents pour enquêter sur les crimes contre la liberté d'expression par l’intermédiaire de leurs propres procureurs locaux.
Par conséquent, il est important de continuer à avancer dans la consolidation de mécanismes agiles et efficaces de collaboration avec les premiers intervenants sur une scène de crime.
Grâce à l'émission d'un protocole homologué publié en novembre 2018 et obligatoire pour toutes les autorités chargées de l'application de la loi dans le pays, des avancées importantes ont été réalisées dans ce processus. Cependant, il sera toujours nécessaire d'assurer une plus grande efficacité dans ce type de processus.
La formation constante des procureurs, des analystes et des policiers spécialisés dans ce type d'enquêtes s’inscrit dans l’amélioration continue qui renforcera les capacités d'enquête et de contentieux. Aujourd'hui, l’ensemble des procureurs et des analystes affectés au FEADLE est certifié avec la spécialisation d'investigation des délits commis contre les journalistes pour leur travail. Un processus de certification est en cours pour les policiers enquêteurs avec les mêmes caractéristiques.
D'autre part, le secteur effectuant l'analyse de l'information (récemment créé en 2018) devrait continuer à se renforcer et à élargir son champ d'action pour contribuer à ces enquêtes.
Comment le travail collaboratif des journalistes d'investigation locaux et régionaux a-t-il contribué au travail du FEADLE et à l'avancement des enquêtes ?
Il est toujours positif de s’appuyer sur la participation des victimes et de leurs représentants ayant l'intention de collaborer avec la justice pour assurer un processus pénal équitable et lutter contre l'impunité.
En outre, la collaboration des journalistes aide beaucoup à l'analyse contextuelle car ce sont eux qui publient au quotidien dans les médias et qui reflètent ce qui se passe dans leurs entités respectives. Le FEADLE en tient compte lors de la contextualisation des actes criminels.
Comment des directives telles que les , publiées conjointement par l'UNESCO et l'Association internationale des procureurs, peuvent-elles aider le travail des procureurs enquêtant sur les crimes contre les journalistes ? Ces types d'outils et de matériel de formation aident-ils vraiment les procureurs qui traitent ce type d'affaires ?
Certaines affaires ayant un impact important nécessitent une collaboration internationale efficace. Ce type de lignes directrices pourrait donc fournir un cadre juridique pertinent pour développer la collaboration spécialisée entre les pays.
Les directives de l'UNESCO et de l'Association internationale des procureurs, pour la plupart, font déjà partie du système juridique mexicain, que ce soit dans les traités et accords internationaux, l'accord entre les Bureaux des Procureurs généraux (aujourd'hui les bureaux des procureurs), le code national de procédure pénale, dans les protocoles, manuels, accords ou circulaires sur lesquels le FEADLE s'appuie pour l'intégration des enquêtes préliminaires ou des dossiers d'enquête.
Travail de l’UNESCO pour former les acteurs judiciaires à la liberté d’expression
Les juges et les membres des systèmes judiciaires peuvent jouer un rôle essentiel dans la promotion et la protection de la liberté d'expression et de ses corollaires, la liberté de la presse et l'accès à l'information. Depuis 2013, dans le cadre de l’, environ 18 000 acteurs judiciaires en Amérique latine, en Afrique et dans la région arabe ont été formés aux normes internationales et régionales en matière de liberté d’expression et de sécurité des journalistes. Les s’inscrivent dans les ressources de l’UNESCO destinées à développer les connaissances et les compétences des acteurs judiciaires. Elles sont disponibles en 16 langues.
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