La montée de la menace de déformation de l’Holocauste exige une réponse internationale urgente

Stefania Giannini, Sous-Directrice générale pour l’éducation de l’UNESCO

Kathrin Meyer, Secrétaire générale de l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (IHRA)

Partout dans le monde, les opposants aux mesures prises dans le cadre de la COVID-19 invoquent le génocide contre le peuple juif par l’Allemagne nazie et ses collaborateurs, se décrivant eux-mêmes comme des victimes, et leurs gouvernements comme des régimes de persécution. En Allemagne, au Royaume-Uni, aux Pays-Bas, en République tchèque, en France, en Italie et aux États-Unis, des manifestants se sont livrés à une falsification de l’histoire de l’Holocauste en arborant des badges en forme d’étoile jaune portant la mention « non vacciné Â» lors de manifestations contre les mesures liées à la COVID-19. Jusqu’à récemment, ces badges étaient en vente sur Amazon.

Ces comparaisons scandaleuses sont clairement fausses, inappropriées et particulièrement injurieuses à l’égard des victimes et des survivants de l’Holocauste. Dans de nombreux cas, la déformation de l’Holocauste sert de pont entre les idées dominantes et des idées plus radicales. Elle attise la haine – l’antisémitisme, les mythes conspirationnistes, les discours de haine, le scepticisme scientifique et la méfiance à l’égard des institutions démocratiques, qui ont tous atteint de nouveaux sommets pendant la pandémie.

Les crimes de l’Holocauste ont été documentés en détail par le régime nazi allemand et par ses collaborateurs, ils ont été confirmés par des témoignages directs et par les recherches menées par des universitaires du monde entier. Mais cette histoire est dénaturée, excusée, déformée et manipulée, que ce soit par des gouvernements cherchant à minimiser leur responsabilité historique, par des théoriciens du complot qui accusent les Juifs d’exagérer leurs souffrances pour en tirer un gain financier ou par des internautes comparant les réglementations sanitaires de la COVID-19 aux crimes nazis. Quelle que soit sa forme, la déformation de l’Holocauste contribue toujours à ce que le négationnisme, l’antisémitisme, les mythes conspirationnistes et le populisme soient florissants.

Loin d’être un phénomène marginal, la déformation de l’Holocauste est présente à tous les niveaux de la société. Souvent camouflée en opinion, elle est difficile à identifier et elle n’est guère remise en question. C’est le plus évident en ligne, où les mèmes et les messages déformants se propagent à la vitesse de l’éclair, attirant les utilisateurs de site en site vers des contenus de plus en plus extrémistes. Les commentaires ou les plaisanteries narquoises se moquant de la persécution et du meurtre systématiques de six millions de Juifs ont pour effet de désensibiliser à l’Holocauste et à son héritage et de réduire la compréhension des faits établis, préparant les personnes à des points de vue plus radicaux.

Les plates-formes des réseaux sociaux se sont engagées à agir contre la négation de l’Holocauste. Pour s’attaquer à ce problème, Facebook a commencé, par exemple, à rediriger les utilisateurs qui cherchent des termes liés à l’Holocauste vers le site Web éducatif de l’UNESCO et du Congrès juif mondial AboutHolocaust.org, mais face à des messages déformants plus codés, les entreprises de médias sociaux ont du mal à proposer des mesures efficaces.

La déformation de l’Holocauste et ses effets – antisémitisme, négation de l’Holocauste et nationalisme extrême – ont une portée internationale, ne s’arrêtant pas aux frontières nationales et n’existant pas dans une langue unique.

La lutte contre cette déformation nécessite donc une approche internationale et interdisciplinaire qui rapproche les gouvernements, les experts et la société civile.

Cette approche doit sensibiliser aux dangers de la déformation de l’Holocauste. Elle doit promouvoir une connaissance factuelle de l’histoire de l’Holocauste et renforcer l’éducation aux médias et à l’information.

Ce travail important est à son commencement. Cette semaine, les dirigeants mondiaux se réunissent à Malmö pour le Forum Remember – ReAct où ils s’engageront sur des mesures concrètes destinées à renforcer la mémoire de l’Holocauste et à lutter contre l’antisémitisme. Cet événement historique intervient plus de vingt ans après que le Forum de Stockholm sur l’Holocauste ait jeté les bases d’une action contemporaine sur l’éducation, la mémoire et la recherche sur l’Holocauste. À une époque où la déformation de l’Holocauste représente la plus grande menace contemporaine pesant sur cet héritage, l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (IHRA) et l’UNESCO s’engagent conjointement à riposter à la déformation de l’Holocauste par le plaidoyer, la formation et l’éducation à l’échelle mondiale.

L’IHRA et l’UNESCO lancent conjointement un nouveau programme visant à développer des formations et des ressources pour donner aux professionnels de l’éducation, aux décideurs, aux fonctionnaires et aux journalistes des moyens de lutte et de prévention contre la déformation de l’Holocauste. Ce programme vient compléter les recommandations destinées aux décideurs afin qu’ils reconnaissent et combattent la déformation de l’Holocauste, ainsi que la campagne de médias sociaux Protect the Facts (Privilégier les faits) et le site Web againstholocaustdistortion.org lancé plus tôt cette année.

« Nous ne pouvons pas arrêter notre combat pour la vérité. Nous ne pouvons pas rester à ne rien faire Â» a déclaré le professeur Yehuda Bauer, président honoraire de l’IHRA. « Nous devons faire ce que nous pouvons. Et ce que nous pouvons faire, c’est enseigner, faire de la recherche, éduquer, approfondir nos connaissances sur ce qui s’est passé afin que des choses similaires ne se reproduisent plus. »

Ces efforts ne devraient pas s’arrêter à la salle de classe. Chacun a la responsabilité de s’attaquer à la déformation de l’Holocauste et à l’antisémitisme, là où ils se manifestent. Tout le monde a intérêt à comprendre les vraies leçons de l’Holocauste et à résister à la haine d’aujourd’hui.

Alors que les dirigeants du monde entier se réunissent à Malmö en octobre, le programme IHRA-UNESCO est un premier pas vers ce que nous pouvons faire, à l’échelle internationale et interdisciplinaire, pour lutter contre la déformation de l’Holocauste. Beaucoup reste à faire cependant.