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Faire que le sport spectacle finance le sport pour tous

Dans un entretien accordé à la veille de la 5e Conférence mondiale des ministres du Sport qui aura lieu à Berlin (Allemagne, 28-30 mai 2013), le Professeur Jean-Loup Chappelet, mondialement reconnu pour ses travaux sur l’économie du sport et sa gouvernance, revient sur l’impact économique des manifestations sportives. Il insiste sur l’importance de répartir les bénéfices des événements sportifs les plus médiatiques afin d’assurer la « mission de service public » du sport, rappelant, notamment, que les bénéfices engendrés par ces événements ne sont pas partagés avec ceux qui construisent les installations nécessaires à ces manifestations.

UNESCO : Alors que le sport moderne est menacé par l’aggravation des fraudes à l’échelle internationale, il semble difficile de parler de l’argent du sport, de ses origines, de sa finalité et de sa répartition. Le sport doit-il être considéré comme une activité économique comme les autres ?

Cela dépend de quel sport vous parlez. Le sport professionnel, c'est-à-dire le sport que l'on regarde comme un spectacle, est sans aucun doute une activité économique qui génère des rémunérations et des profits importants. Il peut être considéré comme une activité économique similaire à une autre pour autant que les règles du marché ainsi créé ne détruisent pas ce qui fait l'intérêt du spectacle sportif, notamment l'incertitude du résultat et la beauté du geste. Le sport pour tous, c'est-à-dire le sport que l'on pratique sans en faire une compétition médiatisée, entraîne aussi une activité économique, ne serait-ce que par les équipements qu'il nécessite (chaussures, habits, matériel, etc.), mais ses pratiquants et organisateurs sont généralement désintéressés. Il est essentiel que le sport spectacle finance le sport pour tous et que l'élite inspire la masse à faire du sport pour ses bienfaits sociaux et éducatifs. A ce titre, le sport possède une "mission de service public" déléguée par l'Etat aux organisations sportives locales, nationales et internationales qui, elles, ont pour mission essentielle de lutter contre les dérives du sport (dopage, violence, corruption, trucages, etc.) avec l'aide des Etats. Ensemble, les autorités publiques et les autorités sportives doivent défendre un sport SAFE (Sustainable, Addiction-free, Fair & Ethical).

Comment sont mesurées, aujourd’hui, les retombées économiques des pratiques et des manifestations sportives ?

Il existe depuis plusieurs années des études qui mesurent la part du sport dans le produit intérieur brut (PIB) des pays. En Europe, le sport au sens large représente entre 2 et 3 % du PIB. Un compte satellite a été élaboré dans les comptes nationaux européens pour mesurer plus précisément encore la dimension économique du sport. Les retombées des manifestations sportives ont fait de longue date l'objet d'études d'impact économique, souvent avant l'événement et parfois après l'événement. Elles concluent généralement à des retombées importantes exprimées en millions d'unités monétaires et en un nombre d'emplois générés exprimé en milliers. En fait, plus l'investissement consenti pour une manifestation est important plus ces sommes et ces nombres sont élevés, donc plus l'impact économique est élevé. Des analyses coûts-bénéfices seraient bien plus utiles pour informer la décision des pouvoirs publics de soutenir ou non l'organisation d'un événement. Ces analyses permettent de voir si le total des bénéfices de l'événement (y compris immatériels qui peuvent aujourd'hui se monétariser) dépasse le total des coûts engendrés (y compris immatériels).

Une gestion plus collective des investissements, mais aussi des retombées économiques du sport, est-elle possible?

Elle est difficile à imaginer. En effet, les grandes manifestations sportives nécessitent des investissements importants à la charge des collectivités publiques qui bénéficient de ces investissements en principe pour de longues années. Par contre, les recettes de ces manifestations reviennent à leurs propriétaires privés, généralement de grandes organisations sportives nationales ou internationales. Certes ces organisations redistribuent une partie de leurs bénéfices aux organisations sportives de base qui sont sensées aider les athlètes. Mais ces bénéfices ne sont pas partagés avec ceux qui construisent les installations nécessaires aux manifestations. Pour une gestion plus collective, il faudrait que les villes et régions deviennent propriétaires des événements récurrents organisés chez eux ou alors que les organisations sportives soit propriétaires de leurs propres installations.

Propos recueillis par Cathy Bruno-Capvert

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Jean-Loup Chappelet

Professeur de management public à l'Institut de Hautes Études en Administration Publique (IDHEAP) associé à l'Université de Lausanne, après avoir dirigé l’IDHEAP de 2003 à 2011, le Pr. Jean-Loup Chappelet est un spécialiste des organisations sportives ayant écrit plusieurs ouvrages et de nombreux articles scientifiques sur la gouvernance du système olympique et le management des Jeux Olympiques. Membre du conseil des fondations Académie internationale des sciences et techniques du sport (AISTS) et de la Fondation Sport, Science et Société (FS3), il a lancé, en 1995, le premier cours de management du sport en Suisse.