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Frank Chalk: “L’ignorance et les préjugés sont les alliés et les instruments des conflits violents”

M. Chalk est professeur d’histoire et directeur de l'Institut montréalais d'études sur le génocide et les droits de la personne de l'université Concordia. Il fut l’un des orateurs qui ont participé à la Consultation régionale de l’UNESCO sur l’éducation à l’Holocauste et au génocide en Amérique latine.

Il est co-auteur, avec M. Kurt Jonassohn, de “The History and Sociology of Genocide” (Yale, 1990), rédacteur en chef adjoint de l’Encyclopédie en trois volumes du génocide et des crimes contre l’humanité (Macmillan Reference USA, 2004), co-auteur, avec inter alia MM. Roméo Dallaire et Kyle Matthews, de “ ” (McGill-Queen’s, 2010), et rédacteur-conseil de la série “Genocide and Persecution” (Gale, 2011). Il a été chercheurr au Center for Advanced Holocaust Studies du Musée mémorial des États-Unis pour l'Holocauste, à Washington, et professeur détaché dans le cadre du programme Fulbright à Ibadan, au Nigeria. En mai 2012, il a été nommé membre du Conseil consultatif canadien de l’International Holocaust Remembrance Alliance. En novembre 2012, il s’est vu attribuer la médaille du jubilé de diamant de la reine Elizabeth II au titre de ses contributions aux études sur le génocide.

Quel est le rôle de l’éducation en matière de sensibilisation, de renforcement du respect des droits de l’homme et de transmission de la mémoire des événements tragiques de l’histoire ?

L’éducation est un élément fondamental de toutes les formes d’efforts visant à construire une société décente et pacifique. L’ignorance et les préjugés sont les alliés et les instruments des conflits violents, ainsi que les ennemis de la construction de résultats justes et pacifiques. Les recherches que mes collègues et moi-même avons menées sur le génocide n’auraient aucune valeur si elles n’étaient pas intégrées dans l’éducation publique.

Quelle est votre définition du génocide ?

Sur le plan du droit pénal international, je m’en tiendrais à la définition donnée aux articles 2 et 3 de la Convention des Nations Unies pour la prévention et la répression du crime de génocide  (1948). Pour des recherches de qualité en matière de sciences sociales, j’utiliserais la définition que MM. Kurt Jonassohn, Norman Cohn et moi-même avons élaborée pour notre ouvrage, The History and Sociology of Genocide, publié en 1990 : « Le génocide est une forme d’extermination de masse  unilatérale dans le cadre duquel un état ou une autre autorité a l’intention de détruire un groupe, tel que ce groupe et l’adhésion à celui-ci sont définis par l’auteur. »

Dans vos recherches, vous avez identifié des variables qui peuvent être considérées comme autant de signaux d’alarme permettant d’empêcher de nouvelles situations (de génocide). Lesquelles de ces conditions sont aujourd’hui les plus répandues ?

Parmi les circonstances définies par MM. Harff et Gurr, les plus répandues aujourd’hui sont les difficultés économiques se traduisant par l’application d’un traitement différent à certains groupes et la fragmentation de l’élite dirigeante. De telles circonstances sont réunies au Myanmar, en RDC, au Nigeria, en Syrie, au Soudan, au Kirghizistan et au Burundi, autant de pays qui sont aujourd’hui vulnérables au génocide et aux crimes contre l’humanité.

Hormis l’Holocauste, quels autres exemples de génocide pouvez-vous citer dans l’histoire récente ? Quels enseignements devons-nous en tirer ?

À brûle-pourpoint, je citerais le Pakistan oriental (1971), le Burundi (1972), le Rwanda (1994) et la Bosnie (Srebrenica). Dans chacun de ces cas, le principal enseignement que nous devons en tirer est le même : il est rare qu’une intervention militaire internationale s’avère indispensable pour mettre un terme aux crimes contre l’humanité avant qu’ils n’atteignent le niveau du génocide. Pour éviter d’en venir à cette extrémité, les efforts diplomatiques déployés en amont – soutenus par la capacité de recourir à la force – et en coopération avec les groupes locaux recherchant la paix, doivent être complétés par l’aide extérieure en matière de développement et de diplomatie. Veuillez consulter notre ouvrage, Mobilizing the Will to Intervene: Leadership to Prevent Mass Atrocities ainsi que notre   où nous donnons des exemples.

Certains leaders aborigènes de différentes régions du monde disent quelquefois qu’ils ont été victimes d’un génocide. Vous êtes d’accord ?

Oui, je suis d’accord avec eux. Notre ouvrage, “The history & sociology of genocide” (Yale Univ. Press, 1990, disponible en espagnol chez Prometeo), donne de nombreux exemples.