´¡³¦³Ù³Ü²¹±ô¾±³Ùé

« LiBeirut » insuffle une nouvelle vie aux maisons, aux habitants, aux souvenirs

L'UNESCO a réussi à stabiliser 12 bâtiments historiques à haut risque d'effondrement, un projet d’urgence financé par l’Allemagne à hauteur de 500 000 euros. « Ma maison était tout pour moi, j’aurais préféré mourir », confie Hala Boustani, une habitante rescapée de la double explosion.

Hala Boustani vit à Rmeil depuis 83 ans. Sa maison, son père Hanna Achkar l’a bâtie il y a plus de 100 ans sur un petit talus face au port de Beyrouth. Un immeuble que ce plombier a construit par étapes pour ses enfants, à chaque fois qu’il pouvait mettre quelques sous de côté. Plus de 30 ans séparent ainsi la construction des étages de ce bâtiment typiquement libanais. Hala Boustani y est née. C’est là qu’elle a fait ses premiers pas, qu’elle a grandi. Elle y est même restée après son mariage, à la demande de son père. Cette veuve sans enfants, qui a perdu son mari il y a 3 ans, y vivait heureuse entourée de ses proches et comptait bien y passer le restant de ces jours. Toujours il est qu’en un sinistre après-midi d’été du 4 août 2020, Hala Boustani a vu sa maison, et toute une vie, s’écrouler en une poignée de secondes. Si elle a survécu par miracle à la double explosion du port de Beyrouth, elle confie qu’elle aurait préféré y mourir, plutôt que voir sa maison voler en éclats.

« Cette maison était tout pour moi, confie l’octogénaire, la voix tremblotante. Quoi que je dise, je ne pourrais exprimer ce que je ressens aujourd’hui. Tout ce que nous avons fait dans notre vie, mon mari et moi, nous l’avons mis dans cette maison, et j’aurais aimé finir ma vie dans cet immeuble. Â» Au moment de l’explosion, Hala a vu comme une boule de feu lui souffler au visage, avant qu’elle ne s’affale devant son divan, du verre dans les yeux et la jambe endommagée. « J’ai toujours mal partout. Je vois des médecins régulièrement et chaque nuit je fais des cauchemars, se plaint Hala. Mais le plus difficile à mon âge est de devoir me déplacer de maison en maison, chez des proches. Rien n’est resté dans ma maison. Nous avons enlevé les souvenirs en miettes. Â» De ses instants qui ont suivi le drame, elle ne se rappelle de rien. « Sa mémoire a flanché, explique Eduardo, le mari de sa nièce. Il nous a fallu 45 minutes pour la sortir, elle et sa belle-sÅ“ur, de l’immeuble, sur les décombres. La scène était apocalyptique. Trois personnes étaient mortes dans l’immeuble d’à côté. Nous n’avons pu prendre nos affaires que quelques jours plus tard et, pendant des mois, Hala a vécu dans le déni, croyant qu’elle allait rentrer chez elle pour Noël. Cet immeuble, aux meubles antiques, c’était celui de la famille, où l’on se réunissait. Notre souci aujourd’hui est d’y habiter de nouveau, et l’UNESCO nous a redonné de l’espoir ! Â»

Identifié par l’UNESCO et la Direction générale des antiquités (DGA) du Liban comme l’un parmi 12 bâtiments historiques prioritaires risquant de s'effondrer dans les quartiers urbains de Rmeil, Medawar et Saifi, l’immeuble où vit Hala a été stabilisé, étayé et pourvu d’une couverture temporaire par l’UNESCO, grâce à un financement de 500.000 euros débloqué par le ministère fédéral allemand des Affaires étrangères, et dans le cadre de « Li Beirut Â», l’initiative-phare de l’organisation onusienne. « Notre immeuble est sûr et ne risque plus de tomber ; on peut y rentrer tranquillement aujourd’hui Â», se félicite Eduardo. « Quand l’équipe de l’UNESCO est venue, j’ai repris mes esprits, assure pour sa part Hala. Grâce à eux, j’ai un petit espoir de rentrer chez moi, et je ne veux que le strict nécessaire. Quelques meubles me suffiront Â».

Des travaux compliqués

Parmi les immeubles inclus dans le projet financé par l’Allemagne, qui a été le premier pays à répondre à l’appel de « Li Beirut Â», un immeuble à Rmeil rendu sinistrement célèbre dans l’aftermath du drame, après que les secouristes aient passé des jours à chercher un possible survivant sous les décombres. La recherche avait captivé le Liban quand un chien renifleur nommé Flash avait attiré les secouristes dans le bâtiment, offrant une lueur d'espoir un mois après la double explosion, mais les chercheurs n'y avaient trouvé aucun survivant. « C’est le bâtiment historique qui a été le plus endommagé dans les explosions du port, explique Michel Chalhoub, ingénieur consultant responsable de la stabilisation du bâtiment. On nous a même dit d’abord qu’il valait mieux démolir et tout reconstruire de zéro. La moitié de la bâtisse était effondrée, même sur la rue principale, et l’autre moitié risquait également de tomber Â». « Travailler sur ce projet, RMEIL 733, était très risqué en termes de sécurité, et des blocs de béton ont bougé pendant les travaux, ajoute Michel Chalhoub. Il a fallu d’abord déblayer et trier, car certaines pierres devaient être conservées. En parallèle, nous avons mené les travaux d’étaiement, puis de mise à l’abri pour protéger les gens et pour sauvegarder le bâtiment durant l’hiver. Â»

Les travaux d’étaiement, de stabilisation et de mise à l'abri constituaient en effet un besoin urgent à l’approche de la saison des pluies. La majorité des 12 bâtiments historiques en risque d’effondrement étant des propriétés privées, le risque de gentrification était également élevé, ou le risque de voir ces bâtiments démolis et remplacés par une nouvelle architecture qui changerait l'identité historique de Beyrouth. Cela a poussé l'UNESCO à accélérer les travaux entre décembre 2020 et mars 2021, sous l’œil avisé des experts, après que le Fonds d'urgence pour le patrimoine de l'UNESCO a complété la documentation technique avant le début des interventions.

A quelques centaines de mètres du site RMEIL 733, sur la rue d’Arménie à Mar Mikhaël, un autre immeuble semble avoir repris de l’allure. Une maison typique de Beyrouth de la fin du 19ème siècle avec des boutiques voûtées, une façade à trois arcades, et des balcons en dalles de marbre soutenus par des balustrades en fer forgé. Le toit en pente, entièrement réalisé en bois de charpente "qotrani", porte de belles tuiles rouges marseillaises aujourd’hui brisées. Ce chantier colossal a nécessité de longues et complexes interventions dans le cadre du projet de l’UNESCO, en attendant que de nouveaux fonds puissent être sécurisés pour la restauration du bâtiment sauvé de l’effondrement. Derrière cet immeuble, un restaurant fermé depuis le drame du port s’apprête à rouvrir ses portes, maintenant que le bâtiment ne présente plus de risques d’éboulement. Â« Ce projet Li Beirut a profité aux passants, aux voisins, à la communauté, affirme le propriétaire de l’établissement. Il nous a également redonné du courage pour la suite. Nous avons été gravement affectés par la tragédie avec des pertes énormes dépassant les 300 000 dollars. La douleur est grande, mais nous ouvrirons notre restaurant de nouveau car nous sommes tenaces. Et comme notre clientèle constitue le tiers des clients de la rue Mar Mikhaël, nous espérons que notre retour redonnera vie à cette zone dévastée. »

 

Li Beirut est un appel international de collecte de fonds lancé depuis Beyrouth par la Directrice générale de l'UNESCO au lendemain de la double explosion, le 27 août 2020, pour soutenir la réhabilitation des écoles, des bâtiments du patrimoine historique, des musées, des galeries et de l’économie créative, qui ont tous subi d'importants dommages dans les explosions meurtrières.