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Marcel Kabanda : Souvenons-nous du Rwanda

Le 7 avril 1994 commençait à Kigali le génocide qui allait emporter la vie de plus d’un million de victimes innocentes. Cette date a été désignée par l'ONU Journée internationale de réflexion sur le génocide au Rwanda. A cette occasion, l'historien rwandais Marcel Kabanda nous invite à réfléchir sur le passé, mais surtout d'observer attentivement le présent.

« Les souvenirs sont nos forces. Ils dissipent les tĂ©nèbres. Ne laissons jamais s'effacer les anniversaires mĂ©morables. Quand la nuit essaie de revenir, il faut allumer les grandes dates comme on allume des flambeaux ». Voici ce qu'Ă©crivait Victor Hugo lors de la commĂ©moration de la RĂ©volution française de 1848. En reprenant ses paroles, le prĂ©sident français François Mitterrand plaçait le devoir de mĂ©moire au cĹ“ur du prĂ©sent et de l'avenir, dans un discours prononcĂ© lors de l'inauguration du MĂ©morial des enfants d'Izieu, le 24 avril 1994. « Il n'y a pas d'avenir sans la lumière du passĂ© », dĂ©clarait-il, « il n'y a pas d'action et de progrès si la conscience qui les conduits ne puise pas aux sources de l'Histoire. Le succès des combats de demain se construit dans la mĂ©moire des combats d'hier. C'est en elle que la jeunesse forgera les armes de l'esprit sans lesquelles rien n'est possible, elles sont nĂ©cessaires Ă  tout destin, individuel et collectif Â».

Cette annĂ©e-lĂ , l’Occident, et particulièrement la France, commĂ©morait le 50e anniversaire des Ă©pisodes pĂ©nibles et des temps forts de la Seconde Guerre mondiale : la rafle des Enfants d’Izieu (6 avril 1944), le dĂ©barquement (6 juin), le massacre et la destruction du village d’Oradour-Sur-Glane (10 juin). Durant ces manifestations le « plus jamais ça Â» Ă©tait dans l’air et dominait les esprits. Et pourtant, le « Ă§a Â» Ă©tait en train de se produire ailleurs dans le monde. Au Rwanda.

Comment en est-on arrivé là ?

Au tournant de l’année 1990, l’Etat rwandais est pris entre deux feux. De l’extérieur, les exilés revendiquent leurs droits à la patrie pénètrent, le 1er octobre 1990, sur le territoire national, par la frontière nord. A l’intérieur, une nouvelle génération d’élite réclame l'ouverture au pluralisme démocratique. Les deux mouvements se rejoignent sur deux points : la fin du monopartisme et l’égalité entre les citoyens.

Sous la pression des conflits, de la rue et de la communauté internationale, le régime consent à s’ouvrir. Une constitution multipartiste est promulguée en juin 1991. En avril 1992, un gouvernement dirigé par l’opposition démocratique est mis en place. Dès le mois de juillet, de sérieuses négociations avec la rébellion s’engagent dans la ville tanzanienne d’Arusha. Un accord de paix est signé le 4 août 1993.

L’espoir est de courte durée. Les extrémistes s’insurgent contre ce qui, à leurs yeux, relève de la trahison des Hutu. Le 6 avril 1994, après six mois de piétinements dans l’application de l’accord de paix, le Président Habyarimana meurt dans un attentat. Aussitôt, des barrières sont érigées dans la capitale, et rapidement après, partout dans le pays.

Le gĂ©nocide commence, il durera trois mois et fera plus d’un million de morts. Tous les Tutsi sans exception sont ciblĂ©s, ainsi que des Hutu de l’opposition considĂ©rĂ©s comme des « complices Â».

Une logique d’extermination

Loin du clichĂ© des atavismes tribaux ou des prĂ©jugĂ©s sur la « sauvagerie naturelle Â» des sociĂ©tĂ©s africaines, le caractère rĂ©pĂ©titif des tueries et le choix des cibles sont significatifs d’un massacre de masse savamment ordonnĂ©.

Dans un premier temps, les autoritĂ©s hutu dĂ©mocrates - Ă  commencer par le Premier ministre, Madame Uwilingiyimana - sont exĂ©cutĂ©es, pour faire disparaĂ®tre tout obstacle sur le chemin du groupe extrĂ©miste, militaire et politique, qui prend le pouvoir le 9 avril 1994 et qui se fait appeler « gouvernement des sauveurs Â». Parallèlement, le meurtre de dix Casques bleus belges entraĂ®ne le dĂ©part d’une grande partie des forces des Nations unies, la MINUAR. Le champ est libre.

A Kigali, les tueries dĂ©butent dès le 7 avril 1994 au matin : le couvent des Pères JĂ©suites est attaquĂ© par un groupe de militaires qui forcent les portes des chambres. Un prĂŞtre hutu est sĂ©parĂ© du groupe et autorisĂ© Ă  quitter les lieux. Les autres sont tuĂ©s, ainsi que cinq prĂŞtres diocĂ©sains qui Ă©taient de passage.

Deux jours plus tard, une scène similaire se joue Ă  la paroisse de Gikondo, oĂą des Tutsi, mais aussi des Hutu dĂ©sorientĂ©s, se sont rĂ©fugiĂ©s. Elle se trouve au centre d’un quartier oĂą les milices du Mouvement rĂ©volutionnaire national pour le dĂ©veloppement (le parti unique au Rwanda, jusqu'en 1991) font rĂ©gner la terreur depuis fĂ©vrier 1993. On les appelle les Interahamwe. ArmĂ©s de machettes, ils investissent les lieux. Ils chassent les personnes de l'Ă©glise et vĂ©rifient leurs pièces d'identitĂ©. Elles comportent la mention « Hutu Â» ou « Tutsi». Les premiers sont renvoyĂ©s chez eux, les seconds, massacrĂ©s, sans distinction d’âge ou de sexe.

TĂ©moin de l’évĂ©nement, le major Maczka, officier polonais de la MINUAR, dĂ©crit ce massacre froid et horrible dans ComplicitĂ©s de gĂ©nocide. Comment le monde a trahi le Rwanda (livre de R.L. Melvern, publiĂ© en français en 2010). Les militaires rwandais utilisent leurs fusils automatiques. A la machette, les miliciens entaillent les bouches, coupent les bras, les tĂŞtes, mutilent les parties gĂ©nitales des hommes comme des femmes. Les cartes d’identitĂ©s sont rassemblĂ©es dans un tas et brĂ»lĂ©es. Les Tutsi doivent disparaĂ®tre sans laisser de traces. Le lendemain, les Interahamwe reviennent achever des blessĂ©s cachĂ©s dans une chapelle. Ce qu'on appelle une « guerre Â» commence. C'est un gĂ©nocide.

Paroles assassines

Rapidement, la tristement cĂ©lèbre RadiotĂ©lĂ©vision libre des mille collines (RTLM) s'arroge le monopole de la parole avec d’autant plus d’aisance que le gouvernement intĂ©rimaire, mis en place après la mort de PrĂ©sident Habyarimana, a fui Kigali pour s'installer Ă  une quarantaine de kilomètres Ă  l’ouest de la capitale. La RTLM se dĂ©finit elle-mĂŞme comme « l’Etat-major de la parole Â». Une parole terrible, qui vĂ©hicule et exalte la violence. Un mot est au cĹ“ur de ses Ă©missions: intambara. Autrement dit : la guerre. Mais ce ne sont pas les rebelles du Front patriotique rwandais (FPR) qu’elle appelle Ă  combattre. La RTLM mobilise l'opinion contre un ennemi biologiquement dĂ©fini.

Le 4 juin 1994, l'animateur Kantano Habimana appelait sur les ondes le recrutement urgent de 100.000 jeunes dont la mission sera non seulement de tuer les Inkotanyi (nom donnĂ© aux troupes du FPR, mais de les exterminer. « La preuve que nous les exterminerons, c’est qu’il s’agit d’une seule ethnie Â», disait-il, avant de poursuivre: « Regardez donc une personne, et voyez sa taille et son apparence physique, regardez seulement son joli petit nez et cassez-le ! Après, nous marcherons sur Kibungo, sur Rusumo, sur Ruhengeri, sur Byumba, partout ! Nous ne nous reposerons qu’une fois notre pays libĂ©rĂ©. Â»

Depuis le dĂ©but de la guerre, un groupe d’extrĂ©mistes menait dans les mĂ©dias, et notamment dans le journal Kangura, une campagne contre la dĂ©mocratie et contre les nĂ©gociations avec les rebelles, au nom des intĂ©rĂŞts du peuple majoritaire, les Hutu. Dans le numĂ©ro 4, de novembre 1990, Kangura publiait un faux document attribuant aux Tutsi un plan de colonisation de la rĂ©gion des Grands Lacs, d’extermination des Hutu et d’asservissement de ceux d’entre eux qui survivraient. En dĂ©cembre de la mĂŞme annĂ©e, dans le numĂ©ro 6, le mĂŞme journal publiait « Les dix commandements des Bahutu Â» : un appel pressant aux Hutu de se sĂ©parer des Tutsi et de s’organiser dans une nouvelle alliance, pour contrer le plan de domination prĂŞtĂ© aux Tutsi.

Dans cette campagne savamment organisée et orchestrée par les médias, les Tutsi sont présentés comme une minorité malicieuse, comploteuse et malfaisante qui s'est infiltrée dans le corps social grâce notamment à la perversité de ses femmes. On les appelle hamites, par opposition aux bantous, c'est-à-dire les vrais humains. On les appelle également Hima, bien que le rapport entre ce groupe ethnolinguistique et les Tutsi n'a jamais été établi.

Mais les Tutsi sont également animalisés : on les désigne très souvent avec des noms empruntés à la zoologie : serpent, singe, chien ou moustique, le préféré étant cafard : inyenzi. Pire, on les accuse d’anthropophagie. Voici ce que disait Valérie Bemeriki, animatrice vedette de la RTLM, le 14 juin 1994 :

« Ce qui est encore plus affligeant, c'est... je vous l'ai dĂ©jĂ  dit, nous l'avons souvent dit... la soif du sang des inyenzi-inkotanyi... ils tuent cruellement l'homme... ils le tuent en le dissĂ©quant... en extrayant de son corps certains organes... en lui prenant par exemple le cĹ“ur, le foie, l'estomac... c'est donc cela que je vous disais hier, que les inyenzi-inkotanyi mangeraient les hommes... non, il n'y a d'ailleurs pas de doute Ă  se faire lĂ -dessus, puisque... tous ces organes qu'ils retirent, qu’en font-ils?... C'est donc qu'ils mangent les hommes... les inyenzi-inkotanyi mangent les hommes... Ă  tel point que nos espoirs de retrouver les dĂ©pouilles de ces personnes demeurent minces... Â»

Cette prĂ©tendue inhumanitĂ© des Tutsi est placĂ©e Ă©galement sur le plan moral : le 30 juin 1994, les animateurs de la RTLM invitaient les miliciens Ă  se mĂ©fier du « rire assassin Â» (cya gitwenge cyo guhekura) des Tutsi, une mĂ©chancetĂ© qui « arrache les enfants du dos de leur mère ! » !

Et ValĂ©rie Bemeriki de poursuivre : « Ce sont des ingrats. Ils sont mauvais. Ils ont Ă©tĂ© créés pour s’abreuver du sang des Rwandais, c’est dans leur sang. Ca ne sert Ă  rien de continuer Ă  les amadouer. Quand ils prennent les fusils, nous devons prendre les nĂ´tres. Ces Inyenzi vont alors comprendre. Ils ne comprennent pas quand ils sont vivants… Il n’y a rien d’autre Ă  faire. Â»

Le 3 juin 1994, Gaspard Gahigi, rĂ©dacteur en chef de la RTLM, dĂ©veloppe une idĂ©e de la stratĂ©gie de la guerre totale, incluant l’ensemble de la rĂ©gion des Grands Lacs :  « Si les inkotanyi sont allĂ©s... sont allĂ©s en Ouganda, sont allĂ©s au Burundi, sont allĂ©s au nord du ZaĂŻre, sont venus au Rwanda, sont allĂ©s chercher des gens pour les Ă©pauler dans la guerre en se servant de leurs affinitĂ©s ethniques... sont allĂ©s chercher Museveni, et Ă  prĂ©sent, on raconte qu'ils ont l'intention de crĂ©er un "himaland"... Ă  mon avis, les gens devraient … comprendre Ă  leur tour que la guerre du Rwanda les concerne, et accourir... afin que les Rwandais ne continuent pas Ă  combattre seuls... J'estime que les gens... qu'on appelle les Bantous, devraient comprendre Ă©galement que cette guerre les concerne eux aussi... que l'extermination des Hutu les concerne... ainsi la guerre du Rwanda serait la guerre de toute l'Afrique... Si les Hima se sont levĂ©s avec la volontĂ© de combattre les Hutu, ceux-ci, en se levant eux aussi, ne feraient aucune faute... surtout que ce n'est pas de leur faute, s'ils ont Ă©tĂ© agressĂ©s... ce serait plutĂ´t une lĂ©gitime dĂ©fense Â».

De la mĂŞme manière que la cible des attaques est dĂ©finie, les buts de cette guerre pas comme les autres sont prĂ©cis. Les animateurs de la RTLM rĂŞvent de l’équivalent du « grand soir Â» imaginĂ© par les communistes et l’appellent l’« aurore Â» : le jour oĂą il n’y aura plus un seul Tutsi au Rwanda. Le 5 juin 1994, un journaliste de la RTLM annonce sans ambages que ce jour est proche : « nous sommes en train de nous acheminer vers une journĂ©e claire, une journĂ©e oĂą nous dirons : "il n’y aura plus un seul inyenzi dans le pays"… le nom d'inyenzi pourra donc ĂŞtre oubliĂ©, s’éteindre dĂ©finitivement. Cela ne sera passible que si nous poursuivons notre Ă©lan de leur extermination. Et comme nous ne cessons de vous le dire, il est inimaginable que cette clique d’individus, qui ne totalise mĂŞme pas 1%, nous chasse du pays pour le diriger.  Â»

Drame collectif

Cette « clique d'individus Â», ce sont un million de morts. Le chiffre est si impressionnant qu'il risque de jeter de l'ombre sur le fait qu'un drame collectif est en fait la somme de drames individuels. Derrière ces images d'horreur de corps inanimĂ©s, mutilĂ©s, entassĂ©s, il y a la souffrance de chaque enfant, de chaque femme, de chaque homme sauvagement assassinĂ© et de leurs proches qui ont survĂ©cu. Les femmes, surtout, qui ont subi des sĂ©vices sexuels de toutes sortes : viol, mutilation, Ă©ventration. HumiliĂ©es, dĂ©pouillĂ©es de leurs vĂŞtements en public, violĂ©es devant leurs enfants. A ce sujet, Le livre d'Elise d'Elise Rida Musomandera est une lecture instructive, ainsi que le rapport de l’association African Rights, publiĂ© en 1995 sous le titre Rwanda, Death, Despair and Defiance, qui donne des dĂ©tails odieux sur ces victimes tuĂ©es après avoir Ă©tĂ© tenues pendant des semaines en esclavage sexuel. Après le gĂ©nocide, de nombreuses survivantes sont mortes du sida. D’autres Ă©lèvent aujourd’hui des enfants nĂ©s de ces viols perpĂ©trĂ©s par les miliciens, comme le montre notamment le documentaire de BenoĂ®t Dervaux et AndrĂ© Versaille : « Rwanda, la vie après – Paroles de mères Â».

Evoquons aussi le cas de ces familles oĂą les oncles ont assassinĂ© des neveux nĂ©s des unions entre les sĹ“urs et les hommes tutsi. Autant d’élĂ©ments qui dĂ©ploient jusqu’à nos jours la douleur du gĂ©nocide et pèsent lourd sur la reconstruction des victimes et la rĂ©conciliation des Rwandais.

Peut-on Ă©viter le pire ?

Quand on pense au gĂ©nocide cambodgien des annĂ©es 1970, quand on pense au Rwanda de 1994, on est tentĂ© de croire qu'on ne pouvait pas Ă©viter le pire. Pourtant, le rapport d’enquĂŞte de l’Union africaine est catĂ©gorique : le gĂ©nocide des Tutsi pouvait ĂŞtre Ă©vitĂ©. Et qui sait combien de situations de violence extrĂŞme ont Ă©tĂ© neutralisĂ©es avant de dĂ©boucher sur le pire. Le problème est que les criminels n'annoncent pas clairement leurs intentions gĂ©nocidaires. Certes, il y a des signaux, mais chacun les interprète comme il peut et… comme il veut. Posons-nous la question: est-on dans une situation de gĂ©nocide au Soudan ou au Burundi ?

Une chose est certaine : pour éviter un génocide, il est impératif d'agir dès les premières manifestations d'actes de discrimination et de violation des droits de l’homme, qu’ils soient fondés sur le genre, l’origine des personnes, la couleur de leur peau, leurs croyances ou pratiques spirituelles.

Le racisme anti-tutsi du régime de Kigali n'était un secret pour personne. Malheureusement, il a été trop longtemps toléré. Familière du Rwanda et des chancelleries, la journaliste belge Marie-France Cros assimile cette tolérance à un racisme de bon aloi (La Libre Belgique, 11 juin 1994).

En dĂ©cembre 1963, une attaque menĂ©e par des rĂ©fugiĂ©s tutsi avait dĂ©clenchĂ© une rĂ©pression aux allures d’un nettoyage ethnique. TĂ©moin des Ă©vĂ©nements, Denis-Gilles Vuillemin, volontaire de l’UNESCO mis Ă  la disposition du Rwanda pour enseigner le français dans un lycĂ©e Ă  Butare analyse et explique comme suit l’origine de la violence :   

« Depuis mon arrivĂ©e, en avril 1963, j’ai pu constater que l’ordre rĂ©gnait dans le pays, que les autoritĂ©s gouvernementales, prĂ©fectorales et communales Ă©taient bien assises. Une tension constante, bien que sourde, opposait cependant les deux communautĂ©s. Ce n’est pas ici le lieu d’en analyser les causes. Je n’exagère pourtant pas en parlant de manifestations d’un racisme interne Â». Sa lettre se conclut par une note de dĂ©sespoir : « Comment pourrais-je enseigner, dans le cadre d’une aide UNESCO, dans une Ă©cole dont des Ă©lèves ont Ă©tĂ© assassinĂ©s pour l’unique raison qu’ils Ă©taient Watutsi ? Comment pourrais-je enseigner Ă  des Ă©lèves qu’on assassinera peut-ĂŞtre dans quelques mois ou dans quelques annĂ©es ? Â».

L'avenir lui donnera raison. Dès 1973, un vent de persécution anti-tutsi souffle sur tous les établissements d’enseignement du Rwanda. A l’Université et dans les écoles secondaires, les élèves tutsi sont attaqués et chassés à coups de gourdins. Durant la deuxième République, issue du Coup d’Etat de juillet 1973, le contrôle des Tutsi demeure une préoccupation essentielle du pouvoir. Elle se traduit par le maintien des réfugiés à l’extérieur et la mise en œuvre de politiques de quotas ethniques. Celles-ci limitent, quand elles ne l'excluent pas, l’accès à l’enseignement secondaire et supérieur, ainsi qu'aux emplois.

Observer le présent

Le racisme peut frapper Ă  la porte n'importe quel peuple. Le « racisme interne Â» au  Rwanda en est la preuve. Les Tutsi et les Hutu sont noirs, parlent la mĂŞme langue et pratiquent la mĂŞme religion, ils habitant ensemble et se marient entre eux. Vivre ensemble n’est pas seulement vivre cĂ´te Ă  cĂ´te, c’est avoir une image positive de l’autre.

Le génocide est comme le fruit d’un arbre qui met du temps à germer et à grandir. Puis un jour, quand le fruit est mûr, il tombe. Inévitablement. Personne ne peut empêcher ça. Il aurait fallu agir plus tôt. Pour éviter un génocide, il faut identifier les situations à risque et les neutraliser avant qu'il ne soit tard.

Il est vrai que l’on ne peut penser l’avenir sans le souvenir du passé. Mais la mémoire ne peut être source de lumière que dans la mesure où nous ne fermons pas les yeux sur le présent.

En faisant de la date de commémoration du génocide au Rwanda une journée internationale de réflexion sur ce drame, l’ONU nous convie à aller au-delà du souvenir, pour penser ses conséquences et chercher des stratégies visant à éviter qu’il se reproduise.

Ouvrons les yeux.

Marcel Kabanda

*  *  *

M. Kabanda, historien rwandais, prĂ©side l'association  qui reprĂ©sente les victimes du gĂ©nocide des Tutsi au Rwanda. Il partage son temps entre la recherche et la promotion de la mĂ©moire. Il a Ă©tĂ© expert auprès du Tribunal international pour le Rwanda dans le procès des mĂ©dias.